Les nuits blanches du facteur, un film de Andreï Konchalovsky
Par LaPlumeLes Nuits Blanches du Facteur nous transporte au fin fond d'une Russie rurale qui semble figée dans le temps. Le film est rythmé par le quotidien de Lyokha le facteur. A travers lui, on découvre les habitants de Kocitsyne et une nature époustouflante. Le film a été récompensé par le Lion d’argent du meilleurs réalisateur à la Mostra de Venise en 2014, et on comprend pourquoi.
Un facteur, du thé, un chat
Plus qu'un facteur, Lyokha est le seul lien entre cette petite communauté du lac ravitaillée par les corbeaux, et le reste du monde. Il est même indispensable à la vie du village. Grâce à son bateau, il apporte vivre, médicaments, nouvelles de la ville et le courrier évidement. Enfin le courrier... principalement les pensions que certain s'empressent de dilapider en Vodka.
Chaque journée commence invariablement par le même rituel. Il s'assoit dans son lit, regarde ses pantoufles et dans son regard on peut lire : pourquoi se lever, à quoi bon, y'a pas de courrier.
Pourtant, il se lève, prépare son thé et embarque, direction la ville.
Même s'il n'a pas de lettres à délivrer, il rend visite à chacun et c'est sans compter qu'il aide et veille sur tout ce petit monde. Surtout sur Irina et son petit garçon. Cette amie d'enfance qui malgré ses petites attentions le repousse gentiment.
Peu à peu il se met à avoir des hallucinations. Un beau chat gris apparaît ça et là. Pourtant il n'y a pas de chat dans le coin. Lui qui n'a pas touché une goutte d’alcool depuis 2 ans serait-il en train de perdre la tête ?
Quand il découvre un matin que le moteur de son bateau a été volé, la coupe est pleine.
Un docu-fiction avec des « vrais gens »
Ce qu'il faut savoir sur ce film, c'est qu'il a été tourné sans scénario de base, puis monté par la suite. Andreï Konchalovsky, le réalisateur voulait pour son film un vrai facteur, des « vrais gens », comme il dit, pour montrer la réalité de la vie dans ces villages russes coupés du monde. Il a alors fait appel aux habitants de la région pour rejouer leur propre rôle. Seuls Irina et son fils sont des acteurs. Un mélange entre documentaire et fiction donc.
Le cinéaste porte un regard tendre, sans misérabilisme, sur ces personnages que la vie n'a pas épargné. Vivant simplement, au milieu de nul part, en marge d'une Russie qui envoie des fusées dans l'espace mais qui est incapable de fournir un moteur de rechange à ceux qui en ont un besoin vital. Regard également sur une nature grandiose. Les paysages sont à couper le souffle, et comme si ça ne suffisait pas, leur beauté est sublimée par un travail du son absolument remarquable. Un jeu habile entre musique, chant des arbres et silences absolus.
La mort du courrier ?
Alors oui c'est l'histoire d'un facteur, et pourtant, il est très peu question de courrier. Lyokha le dit lui même, plus personne n'écrit, à cause du téléphone, à cause d'internet.
La seule boîte aux lettres du village, accrochée à la maison d'une vieille dame, est désespérément vide. Dame qui d'ailleurs tente d'attirer l'attention du facteur, en vain. Il passera la voir plus tard dit-il. Mais ce sera trop tard. Faut-il y voir la mort du courrier ? Et plus encore, la mort du village pour cette petite communauté pour qui le facteur est indispensable : « on envoie pas de pain par mail » dit-il lui même. On a du mal à imaginer que la fin de l’écriture manuscrite puisse avoir des conséquences aussi dramatiques.
J'ai beaucoup aimé ce film. Sa bienveillance et sa force face à l'adversité font du facteur un personnage très attachant. J'ai particulièrement aimé les séquences en bateau. La scène où le facteur et le fils d'Irina partent en barque à la recherche de Kikimora la sorcière des marais, est particulièrement anthologique ! A voir absolument