À lire - Lettre à la République des Aubergines
Par LaPlume« Lettre à la République des Aubergines » n'est pas un simple roman épistolaire. Pour son troisième roman Abbas Khider nous invite à suivre le difficile voyage d'une lettre d'amour de la Lybie de Kadhafi à l'Irak de Saddam Hussein.
Du courrier et des hommes
Voilà deux ans que Salim, irakien réfugié en Lybie, tente de faire parvenir une lettre à sa fiancé Samia. Juste pour lui dire qu'il est en vie. Il faut dire qu'elle n'a plus eu de nouvelle de lui depuis que la police de sûreté l'a fait enfermé pour... avoir lu des livres interdits par le régime de Saddam Hussein. Il ne doit son salut qu'aux relations d'un de ses oncles qui lui permettent de fuir le pays.
Salim sait à quel point il serait dangereux pour ses proches de recevoir une lettre de lui par les voies officielles. La police surveille tout et tout le monde. C'est alors qu'il entend parler d'un réseau clandestin capable d'acheminer le courrier vers l'Irak. C'est dangereux et ça coûte cher. Bien déterminé et argent en poche, il décide de confier la précieuse lettre au réseau.
Le roman suit la lettre de Salim et s'articule autour du portrait des différentes personnes qui auront la lettre en main. Samia aura-elle cette lettre un jour ?
Un parcours du combattant
Le livre n'est pas vraiment un roman épistolaire. On suit simplement le long chemin parcouru par la lettre que l'auteur utilise comme prétexte pour nous raconter les drames humains vécus par ses protagonistes. On en oublierait presque l’expéditeur et la destinatrice.
Dans un style simple et sur un ton léger, parfois drôle, il aborde des sujets terribles : La torture, la corruption, la condition des femmes. Il décrit le tumulte des villes comme Le Caire, Benghazi ou Bagdad et surtout, la difficulté dit vivre, qu'on soit réfugié ou non. Tout ce qui nous paraît banal et anodin relève pour eux du parcours du combattant.
J'ai bien aimé ce roman qui se lit très rapidement. On prend conscience des difficultés que rencontre certaines populations à travers le monde. Des endroits où le simple fait d'écouter de la musique, de jouer au football ou d'envoyer une lettre, c'est prendre le risque de subir le sort de ceux qui, emportés par la police on ne sait où ni pourquoi, ne reviennent jamais. Et quand on sait qu'Abbas Khider lui-même a été emprisonné deux ans pour raison politique avant de fuir son pays, l'émotion est d'autant plus grande.
« La première fois que je suis entré dans le bureau de poste, une longue file d'attente s'étirait devant moi. Je suis resté planté là presque trente minutes avant que mon tour arrive enfin. L'employée désagréable était tellement maquillée qu'on aurait dit un perroquet dégoulinant sous la pluie, et elle mâchait son chewing-gum avec tant de, vigueur qu'elle donnait l'impression de vouloir le cracher à tout moment sur moi ou sur un autre client. Son regard las effleura mon visage, puis elle me lança : « C'est pourquoi ? » Je n'ai pas répondu, je me suis juste retourné et j'ai filé en un éclair. Face au guichet et au visage peinturluré de cette femme, je me suis soudainement demandé : et si la lettre atterrissait entre les mains de la police ? Et si Samia se faisait arrêter ? Ces réflexions m'ont rendu infiniment triste et furieux. Rien que d'y penser, j'en tremblais de peur. Je savais qu'à Bagdad, ces scélérats allaient faire de la vie de Samia un enfer s'ils apprenaient l'existence des lettres que je lui envoyais. Voilà pourquoi je n'ai jamais réussi à confier aucune de ces lettres à un quelconque employé de la poste. »
Lettre à la République des Aubergines de Abbas Khider - traduit de l'allemand par Justine Coquel - Éditions Piranha